Chanté Nwel en jupe-chemise
"Oh! La bonne nouvelle, la bonne nouvelle qu'on vient nous annoncer...", chante-t-on aux Antilles à l'Avent pour préparer Noël, au rythme du gwoka. On se regroupe entre voisins, entre amis, entre collègues même, pour chanter, des chants de Noël anciens revus depuis des décennies, voire des siècles, aux rythmes créoles. On danse, on mange et on boit un peu aussi. Cela s'appelle les "Chanté Nwel".
Avec un petit groupe d'amis, nous en avons organisé un mi-décembre. Pour cette belle et chaleureuse manifestation, il me fallait un costume couleur locale. Nous avions comme consigne vestimentaire un haut blanc et un foulard en madras.
Après un long temps de recherches et de cogitations, j'ai finalement opté pour un ensemble jupe-chemise, qui correspondait le mieux à la consigne. Comme son nom l'indique, il est composé... d'une jupe, généralement très large, froncée ou plissée à la taille, et longue. Cette combinaison a précédé la robe à corps (ou wobako) de Guadeloupe ou la grand-robe de Martinique. L'ensemble jupe-chemise était à l'origine, au XVIIIème siècle, porté par les affranchies qui choisissaient des toiles d'indienne chamarrées en signe de richesse, car les dentelles, les rubans et la soie leur étaient interdites. La chemise était en toile très fine, batiste ou mousseline de préférence, et ouvragées de plis, nervures, broderies. L'ensemble jupe-chemise est aussi appelé Matador, car il a été la tenue de prédilection des femmes matadors, ces cocottes des îles, libres et entretenues par les notables. La générosité de leurs amants leur permettait de s'offrir ce costume luxueux et dispendieux, qui les distingaient des femmes rangées.
Mon corsage est directement sorti de mon armoire: je l'avais acheté en Hongrie il y huit ans, et ses broderies et fronces correspondaient au modèle. Pour réaliser la jupe, je me suis d'abord référée à trois ouvrages de ma bibliothèque personnelle:
- "Costumes créoles. Mode et vêtements traditionnels des Antilles françaises de 1635 à 1948", de Lyne-Rose BEUZE et Loïs HAYOT, éd. Fabre Domergue, Fort-de-France, 1999
- "Le costume. Une époque de l'histoire de la Guadeloupe à travers le costume 1860 - 1910", de Renée GLAUDE, Musée Saint-John Perse, Pointe-à-Pitre, 1990
- "La gazette du costume créole aux fils tissés des modes et de l'Histoire", de Nicole Réache et Michelle GARGAR, PLB éditions, Gosier, 2009
J'ai également procédé à une recherche iconographique sur internet. Respecter la forme et l'esprit originaux tout en modernisant, tel était mon objectif.
Traditionnellement, et selon les ouvrages cités, la jupe est "à queue" (ou à traîne). Réalisée d'au moins cinq lés, arrivant à six mètres de large (deux plus courts devant, et trois plus longs derrière), elle est composée de tissus imprimés, colorés, d'une ou plusieurs sortes (jusqu'à onze!). La femme la relève sur le côté pour laisser voir son jupon richement orné.
N'ayant pas les moyens d'une matador, je suis allée à l'économie. J'ai choisi un Wax en 110 cm de large au Marché Saint-Pierre, au prix honteusement bas (environ 3 € le mètre) et donc très probablement fabriqué en Chine) dont les couleurs fortes et complémentaires me plaisaient beaucoup.
J'ai composé la jupe avec trois lés seulement: un devant et deux derrière. Et j'ai utilisé la forme de la jupe de la robe à corps indiquée par les auteurs de "La gazette du costume créole", pages 228-229, dont voici ci-dessous le schéma:
On a donc une forme trapézoïdale pour le dos, plus étroite dans le haut que dans le bas, et dont la base est droit fil et le sommet en cloche. La coupe est contraire à ce qui se pratique habituellement: haut droit ou légèrement incurvé, et bas incurvé également pour équilibrer la longueur sur les côtés. La forme de la robe créole est particulièrement intéressante car elle permet de conserver l'équilibre des dessins (notamment si on travaille dans du madras) puisque la base est droite. J'ai procédé de même pour le devant en incurvant la taille. Je n'ai pas gardé la "mahoulette" (fronces rabattues dans le dos) pour ne pas alourdir la taille. Cela donne une jupe à traîne d'un beau volume. La ceinture est montée (à la manière traditionnelle et donc rabattue, mais à la machine par manque de temps), fermée par deux agrafes, et agrémentée de deux liens à nouer devant pour y remonter un pan de la jupe. La jupe elle-même est froncée. Quant à l'ourlet, malgré le manque de temps j'ai préféré le faire à la main pour qu'il ne soit pas visible.
Et voilà: je n'avais plus qu'à me parer de mes tété négresse, jonc plat et autres bijoux créoles, et de ceindre mes dheveux d'un madras, et j'étais prête pour la fête...